Peu de gens aujourd’hui se doutent que l’usine de la Ravine Glissante a focalisé de façon inattendue un jour de janvier 1901 le lien entre la mer et Sainte Rose. C’est dans ses locaux, par décision du maire de l’époque, Mr Adam de Villiers, que furent hébergés certains des rescapés du naufrage du vapeur le Kaisari. Cet évènement, rapporté par la presse locale de l’époque et diversement évoqué dans la presse internationale sont à la fois une illustration des conséquences des difficiles conditions cycloniques liées à la saison des pluies à La Réunion, mais aussi du fait que l’histoire de Sainte Rose une fois de plus se mêle à celle de l’Angleterre, ce de façon fortuite mais à la fois tragique et durable puisque la charge mémorielle et parfois mystérieuse subsiste encore aujourd’hui. Le déroulé de cette journée, du rôle des Sainte Rosiens et des évènements qui ont suivi mériteraient qu’on s’y attarde mais nous nous limiterons à tenter de faire la lumière sur trois aspects : l’identité du navire, les raisons de sa présence dans la zone et les causes du naufrage.
L’dentité du Kaisari nous est donné dans le rapport de la commission qui a eu lieu à Port Louis le lundi 11 Février 1901 :
Le vapeur « Kaisari était un vapeur de 2494 tonneaux de jauge brute et de 1570 de jauge nette, construit dans le Sunderland, en 1886 par JL0 Thompson& Co, avec des moteurs de 265 chevaux de puissance nominale, construit par Thomas Richardson & Co de Hartlepool. Son numéro officiel était le 91 963 et il était classé A1-100 dans le registre de la Lloyds. Son capitaine était Archibald Clarke.
Construit à Sunderland, dans le Nord Est de l’Angleterre , à une époque où régnait l’effervescence due à la révolution industrielle, le Kaisari avait alors pour nom Federation. Si l’on ne dispose pas de photo du vapeur il est assez aisé de retrouver celles de navires du même type sorti du même chantier naval à la même période et de tonnage sensiblement similaire. Citons pour mémoire le Savio AVIO cargo lancé le 7 juin 1888 sous le nom de Discovery construit en 1888 à North Sands.
C’est un cargo charbonnier de 1922 brut 1182 net long de 86m et large de 11,6m, propulsé par une machine à triple expansion fabriquée par T. Richardson& Sons à Hartlepool de 202NPH. Le kaisari semblait donc de taille et de puissance légèrement supérieures. Il s’agit donc d’un navire à vapeur. Un détail important nous est donné dans le rapport de la commission à Port Louis qui a suivi le naufrage le 11 Février 1901 : Le Kaisari avait à son bord 90 tonnes de charbon. Ce qui nous amène à donner quelques précisions qui par la même peuvent éclairer les différentes allusions techniques rapportées dans la presse. Sur un navire propulsion à vapeur est basée sur trois éléments principaux :
Un appareil évaporatoire comportant particulièrement une chaudière où l’eau est chauffée au charbon, un appareil moteur d’où la référence à la machine à triple détente et un appareil propulseur. Il sera plus tard question du gouvernail défaillant comme élément important de ce naufrage.
L’équipage du Kaisari était composé de 75 personnes dont 8 officiers européens , 67 natifs indiens.16 membres de l’équipage sont désignés comme firemen des hommes chargés du fonctionnement de la chaudiére .
De cet équipage, les Sainte Rosiens retiendront surtout le nom de Kidd, chef mécanicien qui fut une des personnes retrouvée quelques jours après le naufrage et enterré à Sainte Rose. Son décès est enregistré à la mairie de Sainte Rose suite aux déclarations des brigadiers Ponard Ferdinand et Collet Jules en date du 17 janvier 1901.
La classification de la Lloyds semble également importante : A : construit ou accepté dans le registre de La Lloyds et gardé en bonne condition de fonctionnement. 1 : équipement d’amarre et d’ancrage en bonnes conditions. 100 : approuvé pour service en mer. (Lloyd’s Register and Ship Classification).
Il s’agit donc d’un navire comme ceux que qu’il n’était pas rare de voir au port de La Pointe des Galets en ce Janvier 1901. Le Journal de l’Ile de La Réunion rapporte régulièrement d’ ailleurs dans ses colonnes les activités maritimes de ce mois de Janvier à Saint Denis ou au port. Mention est faite par exemple du vapeur français Druencia ( qui échoua entre Casablanca et Fedala en 1912 et dont on a pu retrouver quelques activités dans la zone) ou du vapeur anglais Corsaire le 8 Janvier ainsi d’ailleurs que le paquebot l’Irrouady.
Le Kaisari lui venait de Rangoon ce qui lui avait valu quelques difficultés lors de son arrivée au Port comme nous le rapporte le journal le Ralliement. Rangoon il faut le rappeler était un port important avec une grosse activité commerciale sous drapeau britannique. Cette expansion était soutenue par des lignes maritimes dont les plus importantes étaient P&O : Peninsula and Oriental Steam Navigation Company, British India Steam Navigation Company qui assura la connection avec l’Afrique de l’Est en 1890 avec un service régulier entre Londres et Zanzibar et à partir de Zanzibar rayonnement vers le Seychelles , Maurice et Reunion entre autres.
La zone océan indien Afrique de l’Est n’était pas étrangère aux compagnies maritimes basées en Inde
Le Kaisari appartenait la société Bombay and Persia Steam Navigation Company.
Cette compagnie avait été fondée en 1877 et s’occupait essentiellement du transport de pélérins jusqu’à Jeddah. Mais en tant que transporteur de marchandises les routes du Kaisari devaient le conduire ailleurs que Jeddah uniquement.
Il n’était pas rare de voir les bateaux de Sa Majesté croiser dans les eaux proches des côtes réunionnaises. Un exemple fameux reste le Warren Hastings , échoué à St Philippe. Le Warren Hastings avait à son bord des troupes qui faisaient route vers Maurice et le Cap. Nous somme s en 1901 à une époque où la guerre des Boers fait rage en Afrique du Sud. Cela peut expliquer pourquoi certains ont pu relier sa présence à une quelconque activité militaire.
On relève par exemple dans le Journal Gil Blas du 18 Janvier 1901, dans la rubrique Tour du Monde l’information suivante « Le Kaisari était parti de Rangoon Birmanie Anglaise le 23 Novembre . Il se dirigeait vers La Réunion mais nous avons tout lieu de croire que son but était en réalité de ravitailler les troupes anglaises du Cap. »
Si certains détails méritent ici d’être rectifiés, d’une éventuelle implication du Kaisari dans le conflit Sud Africain bien qu’elle semble plausible à la presse de l’époque il ne semble rester peu de traces ce qui ne fait que renforcer le mystère qui plane autour de l’embarcation. Nous savons juste que le bateau se dirigeait vers l’Île Maurice après son escale réunionnaise.
Rares sont aujourd’hui les pêcheurs Sainte Rosiens qui n’ont pas entendu parler du Kaisari. La roche qui porte son nom surgit encore aujourd’hui de l’écume blanche comme le témoin de cet évènement tragique du début du siècle dernier. Les recherches des quelques vestiges de cet épisode nous livrent quelques rares secrets que l’océan bien souvent mugissant garde jalousement encore à cet endroit.
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